Et il y a pire bien sûr, il y a toujours pire : c’est lorsqu’on découvre (ou que simplement on s’imagine) que la loi n’est pas la même pour tout le monde. Pourquoi ma bourrique de sœur a-t-elle droit à un soutien-gorge sur la plage et pas moi ? Et ici nous sommes aux portes de l’enfer parce que personne ne veut se dénoncer, ni être responsable : le père rejette la faute sur la mère qui la rejette sur le frère aîné, sur la sœur, sur la bonne, sur l’école. C’est bien simple, la famille est une machine à faire jouer à l’autre LE MAUVAIS RÔLE. Le rôle de celui qui a créé le manque, le trou, l’absence, de celui qui a provoqué ce déficit d’amour qui a fait de moi une sale petite misère entourée de peau : « Mais, c’est ta mère, mon vieux, qui te protégeait trop ! Mais c’est ton père, idiote que tu vénérais comme un dieu ! Mais c’est ton oncle, qui te regardait par en dessous ! » Et aussi le rôle de celui qui a été trop aimé à votre place, de celui qui a trop aimé l’autre au lieu de vous, de celle qui a trop aimé son mari plutôt que ses enfants, trop ses enfants plutôt que son mari.
Au secours ! Et surtout n’allez pas croire que ça s’arrange avec le temps. Non ! Je crois que c’est encore Lacan qui l’a dit : « l’inconscient ignore le temps ». Et si mes parents ressuscitaient, après les effusions d’usage, nous ne mettrions pas bien longtemps à reprendre la scène conflictuelle que nous avons jouée si souvent. Partant de ce que Lacan a appelé le complexe d’intrusion et de ce principe du mauvais rôle, nous nous sommes dits : et si pour une raison x, une famille en pleine décomposition choisissait un étranger pour lui faire jouer le mauvais rôle ? Ou plutôt tous les mauvais rôles. Si elle essayait d’expulser magiquement tous les fantômes qui la pourrissent de l’intérieur, les frustrations, les non-dits, les mensonges ? Cela pourrait être un joli point de départ pour une comédie.
Claude d’Anna