Les raisons du suspens
Film de genre, assumé comme tel, il requiert une mise en scène à la fois originale et référentielle. Le thriller impose au réalisateur un défi de filmage et de direction d’acteurs qui va au-delà des nécessités habituelles pour offrir aux spectateurs trouble, ambiguïté, profondeur et surtout l’empathie indispensable au mystère et à la tension de cette histoire. « Chaque personnage doit avoir ses raisons », disait Renoir. Et s’il est bien un genre où la maxime est vraie, c’est celui du film noir, dans lequel chacun doit justifier ses motivations afin de forcer l’empathie du spectateur jusqu’aux troubles des passions sélectives. « Le méchant se doit absolument d’être le plus réussi de tous les personnages », ajoutait Hitchcock. Et en ce qui me concerne, il le sera d’autant plus que l’ambiguïté sur sa culpabilité réelle des uns ou des autres demeure jusqu’à la fin. Whodunit donc ?!… assurément, tout autant que mystère et frayeur. La mise en scène doit ici construire un crescendo de suspens qui embarque et tienne en haleine. La caméra doit tendre le fil de sa mécanique comme un arc, et clouer le spectateur dans le confort fragile de son canapé, ballottant ses soupçons et ses certitudes au gré des ressacs de l’intrigue.
Soupçons et Subjectivité
Récemment, pléthore de magazines ont titré : « Connaissez-vous vraiment votre conjoint ? » Ils ont proposé des réponses à cette angoissante question à grand renfort de tests et d’analyses psychologiques sauce Fleury-Michon. Depuis Rebecca et Soupçons d’Alfred Hitchcock, tout le monde sait que nos engrenages à paranoïa ont vite fait de s‘enclencher sitôt que nos quotidiens quittent la banalité. Un retard, un coup de téléphone anonyme, une découverte surprise et c’est l’anxiété qui s’installe… Comme le personnage de Rebecca (chez Daphné du Maurier, tout comme chez l’oncle Alfred), notre Emma va se construire un monde dans lequel elle s’effrayera à loisir. Elle ne demande pourtant qu’à se livrer tout entière à cet homme qu’elle aime mais qu’elle redoute de craindre. La mise en scène doit s’inscrire régulièrement dans cette subjectivité et voir les évènements à travers les yeux d’Emma tour à tour amoureuse et terrorisée.